En 2010, des collègues et moi avons passé une semaine à parcourir la toute nouvelle Trans-Labrador Highway. Celle-ci venait tout juste d’être inaugurée, et nous avions comme mandat de produire des reportages pour parler de l’impact de cette nouvelle route sur les communautés du Labrador. Le texte suivant, tiré de mon expérience, a été publié dans la revue Littoral au printemps 2011.
…
“Welcome to the Labrador Coastal Highway”. C’est écrit là, en grandes lettres blanches sur le panneau vert. Je marche sur cette route tellement neuve que l’air sent encore la poussière. Le caméraman prend des images. Derrière moi, la route asphaltée qui mène à Happy Valley-Goose Bay. Devant, une route de gravier qui serpente à travers les épinettes. Plus loin, un pont tout neuf traverse une rivière large, scintillante, magnifique. « La rivière Churchill », m’indique mon collègue. M’y voilà. Je suis au Labrador. Sur la toute nouvelle route Trans-Labrador Highway.
Difficile de décrire l’émotion qui m’habite. J’ai l’impression de partir à l’aventure, l’impression que je m’en vais poser le pied là où peu l’on fait auparavant. L’impression aussi d’être un imposteur, de débarquer dans un lieu où, jusqu’à tout récemment, aucune voiture n’avait circulé. Mais qu’importe ! Nous sommes venus ici avec l’intention de nous rendre tout au bout de la route. Et c’est ce que nous allons faire.
Les voitures roulent sur la Translabradorienne en soulevant un tourbillon de poussière. Certains s’arrêtent. « Hitting the road ? ». Oh que oui, destination Blanc-Sablon, rien de moins ! « Be careful, the weather is clear, the road is not too rough, but you never know… ». On prend bonne note des conseils. De toute façon, rien ne nous presse. Nous avons la journée pour nous rendre à Port Hope Simpson, près de quatre cents kilomètres plus loin.
Je marche toujours sur la route. Le soleil est chaud, l’air sent bon. Mon collègue est descendu sur la berge de la rivière Churchill. Tout près de lui, un grand inukshuk. Un rappel que nous sommes en territoire nordique.
Je souhaiterais rester ici. Passer la journée à regarder la rivière Churchill sous le soleil. Mais il faut y aller. De longues heures de route nous attendent. On décolle, en direction du Port Hope Simpson, en direction de l’immensité du Labrador.

Arrêt sur la route. Nous sortons pour prendre des images, et respirer un peu l’air frais. Je ferme les yeux et écoute le Labrador. Le vent, un ruisseau qui coule tout près, les épinettes centenaires qui grincent au vent… Et puis, au loin, un grondement. Tout d’abord faible, mais qui se fait de plus en plus fort. J’ouvre les yeux. Un nuage de poussière, là-bas, sur la route. C’est une voiture qui s’approche.
La route est plutôt déserte. Je crois qu’on avait commencé à compter les voitures que l’on croisait, mais on a fini par arrêter. Compter des voitures toute la journée, ça devient lassant à la longue. Puis on croise notre première niveleuse, un grader pour les gens d’ici. La machine repasse sur le gravier de la route pour l’égaliser et boucher les trous. On s’arrête, excités comme des gamins. On sort la caméra, l’appareil photo, on veut immortaliser ce moment. Celui où on se rend compte que l’on est sur une route tellement nouvelle qu’elle a encore besoin d’être égalisée pour qu’elle soit praticable. Mais les niveleuses aussi, on a fini par arrêter de les compter après un bout. Nous en avons croisé plusieurs. Répétant inlassablement le même travail. Égaliser la route. Les niveleuses sont à la Trans-Labrador Highway ce que les déneigeuses sont aux routes lors de tempêtes de neige. Elles sont partout, car sans elles, la route ne serait tout simplement pas praticable.

Après la niveleuse, c’est une équipe complète de construction que nous avons croisée. Les travailleurs s’affairent à placer une rambarde de sécurité. Elles sont encore plutôt rares sur la route du Labrador. Tout comme la signalisation, d’ailleurs. Il y a bien quelques affiches qui signalent que la limite de vitesse est de 70km/h. Mais ce n’est parait-il, qu’une suggestion. « Les policiers ne patrouillent jamais sur la Trans-Labrador Highway, m’explique mon collègue. De toute façon, tout le monde sait que si on veut faire de la vitesse, on le fait à ses risques et périls sur cette route de gravier ».
Et le paysage, lui ? Entre Goose Bay et Port Hope Simpson, que des épinettes à perte de vue, avec parfois, ça et là, une rivière d’un bleu profond. Rien pour dépayser une fille de la Côte-Nord.
À quelque part, sur la route, un panneau indique un chemin vers Paradise River. Ceux qui ont fait le panneau ont toutefois omis le « River ». « La sortie pour le paradis est dans un kilomètre ! » lance l’un de nous dans la voiture. Dehors, toujours et encore des épinettes. Ça nous fait bien rire de penser que le paradis puisse être au Labrador.

Port Hope Simpson. Petit village d’à peu près cinq cents personnes (au Labrador, ça en fait plutôt un gros village). Je suis étonnée de constater que les rues de Port Hope Simpson sont aussi toutes en gravier. Pas d’asphalte. Les maisons sont disposées de façon désordonnée, les rues débouchent là où on ne s’y attend pas. Nous ne croisons personne. C’est l’heure du souper.
L’hôtel est au bord de l’eau. L’air sent le large, même si la rivière, ici, est encore loin de la mer. Quelques chaloupes se balancent tranquillement sur les vagues. Le soleil se couche. Les rues du village sont encore bien tranquilles, mais la fumée qui sort des cheminées prouve que celui-ci est bel et bien habité. Port Hope Simpson est bien paisible. J’ai encore envie de suspendre le temps, de figer pour toujours cette image de la nuit qui tombe sur ce village perdu dans l’immensité du paysage. Peut-être que le paradis est bel et bien au Labrador…

Des arbres, des arbres, des arbres. Seulement des arbres. Des kilomètres à la ronde. Soudainement, le paysage devient gris, terne, mort. Épinettes tordues et noircies. Un feu de forêt a laissé des cicatrices. Des kilomètres à la ronde. Le Labrador se fait oppressant.
Charlottetown n’est pas situé près de la Translabradorienne. Pour y avoir accès, il faut emprunter une sortie, à quelque part entre Cartwright-Jonction et Port Hope Simpson. Et s’enfoncer encore plus profondément dans les entrailles du Labrador.
« Charlottetown, hometown of the Labrador Shrimp Festival ». Ce n’est pas moi qui le dit, mais la grande pancarte à l’entrée du village. Et pour le prouver, une dizaine de personnes s’activent au quai pour décharger un bateau de pêche qui rentre tout juste au bercail. Rempli de crevettes.

Nous avons rendez-vous avec Lisa, maire suppléante et conseillère à l’emploi. Femme énergique et dévouée, du genre impliquée dans tous les organismes à Charlottetown. Des Lisa, il y en a dans chaque village du monde. Ils tiennent la vitalité de leur communauté à bout de bras.
Et la route, dans tout ça ? Lisa n’a tout d’abord que du bien à en dire. La route a permis à plusieurs de revenir. Elle a amené avec elle des touristes qui étaient auparavant plutôt rares, elle permet à la compagnie du village d’expédier ses fruits de mer à travers le Labrador. Goose Bay, ses magasins et son hôpital ne sont qu’à quatre ou cinq petites heures de voiture. Rien à voir avec l’interminable traversier d’avant.
Que du beau la route ? Pas tout à fait… « Something was lost, you know, this strong sense of community, and of security… ». Une nostalgie d’un temps pas si lointain, où tout était différent. Les habitants de Charlottetown verrouillent maintenant leurs portes le soir. On ne sait pas toujours qui est en ville maintenant.
Retour sur nos pas. Nous repassons par Port Hope Simpson, direction Mary’s Town cette fois. La route devient presque impraticable. Il faut conduire lentement, pour éviter les nombreux nids-de-poule. Le véhicule dérape souvent.

Mary’s Town. « Hometown of the Labrador Crab Festival ». C’est affiché fièrement à l’entrée du village. C’est la sortie des classes. Les enfants ont enfourché leur vélo et font la course dans les rues. À l’épicerie, un camion de livraison s’est arrêté. Le conducteur sort du véhicule, et commence à décharger sa cargaison. Les enfants de Mary’s Town ont mis leurs vélos de côté. Comme tous les enfants dans tous les villages du pays, ils ont envahi l’épicerie pour y acheter des sucreries. Ils les dégustent à l’extérieur, surveillant attentivement le camion qu’on vide peu à peu. À Mary’s Town, voir un camion décharger sa cargaison est un phénomène nouveau, qui pique encore la curiosité.
Le soleil est plus bas, c’est bientôt l’heure du souper. Les enfants de Mary’s Town reprennent leurs vélos, et repartent en trombe vers leurs maisons. L’air est encore chargé de leurs rires. De l’odeur de la mer. Et de celui de la poussière de la route.

Collines dénudées. Vallées rocailleuses. Végétation dispersée. Le visage du Labrador a soudain bien changé. Nous avons laissé les épinettes derrière nous, pour cette fois traverser un paysage côtier. La mer nous fait de l’œil avec ses vagues scintillantes.

Red Bay. Devant nous, l’océan Atlantique. À l’endroit même où il se jette dans le détroit de Belle Isle. Mes yeux ne contemplent toutefois pas l’horizon. Mon regard se porte sur la route, encore la route. Parce qu’ici, la route de gravier fait place à une route asphaltée. Plusieurs se plaignent du fait qu’elle est pleine de nid-de-poule jusqu’à Blanc-Sablon, mais après des kilomètres et des kilomètres de route en gravier, nous avons l’impression de rouler sur de la ouate. Nous arrêtons, bien entendu, pour nous dégourdir les jambes, et fouler de nos pieds cette merveille que l’on appelle l’asphalte. Bonheur.
Et puis après Red Bay, il y a Saint Modeste, L’Anse-au-Loup, Forteau, L’Anse-L’Amour, L’Anse-au-Clair. Des noms de plus en plus francophones, comme pour nous rappeler que nous arrivons, bientôt, à la frontière du Québec.
Le moment est un peu surréel. J’ai quitté le Québec il y a quelques jours, puis j’ai parcouru plus d’un millier de kilomètres. Pour arriver ici. Devant cette pancarte bleue, où il est écrit « Bienvenue au Québec ». J’ai l’impression de rentrer chez-nous. De retour sur ma côte. Où la mer est, comme toujours, magnifique.

À Blanc-Sablon, la route, on en parle depuis toujours. Celle du Labrador, évidemment, puisqu’elle a amené avec elle son flot de touristes. Et celle du Québec, la 138, qu’on attend encore. Et encore plus impatiemment qu’avant. On voit bien l’impact de la Trans-Labrador Highway sur les villages voisins du Labrador. Et cet impact, on veut le vivre aussi en Basse-Côte-Nord. Alors on attend et on espère.
À l’épicerie du village, on parle de la Translabradorienne comme de la route de la liberté. Il est maintenant possible pour les Blanc-Sablonnais, des Québécois, de se rendre au Québec via la route. Sauf qu’il faut pour ça faire des milliers de kilomètres. Traverser le Labrador.
Le maire insiste sur l’ironie de la station. C’est le gouvernement de Terre-Neuve qui a désenclavé le village de Blanc-Sablon. Pas pour rien que beaucoup ici se sentent souvent plus Terre-Neuviens que Québécois. On s’amuse d’ailleurs pendant la journée à chercher les fleurs-de-lysés. Il y en a, mais ils sont plus difficiles à trouver que ces drapeaux blancs, verts et bleus. Les drapeaux du Labrador.
Les touristes arrivent maintenant nombreux de Terre-Neuve, via le traversier. Ils prennent d’assaut les boutiques, les hôtels et les restaurants de la petite municipalité, avant de se lancer sur la périlleuse Translabradorienne. Blanc-Sablon n’a jamais vu passer autant de gens que maintenant. Le nord attire, comme un aimant.

Matin frisquet. Forteau dort encore pendant que moi, j’essaie de tuer le temps jusqu’au réveil de mes collègues. On doit reprendre la route dans quelques heures. Revenir sur nos pas. Vers Happy Valley-Goose Bay. Et la fin de notre périple. Je regarde le paysage, nostalgique. Je veux en profiter avant qu’il ne soit plus qu’un souvenir. Respirer encore et encore l’air du Labrador.
J’ai envie de marcher un peu. Loin de la route que j’ai assez vue. Les collines dénudées me semblent un peu menaçantes sous la brume. C’est donc vers la mer que je me tourne.
Le sentier qui se rend à la plage serpente à travers les dunes, entre lesquelles je découvre différents cimetières, de différente allégeance religieuse. Le vent de la mer valse entre les tombes. L’air sent le sel. Les vagues font entendre leur douce mélopée.
Au Labrador, on réserve aux morts le meilleur endroit où passer l’éternité.
Sur l’eau, quelques pêcheurs s’affairent dans leur chaloupe. Je les observe tout en avançant tranquillement sur la plage. Dans quelques heures, la mer effacera la trace de mes pas dans le sable. Effacera les traces de mon passage au Labrador.
Une portière de voiture claque au loin. Mes collègues sont réveillés. Ils empilent déjà les bagages dans le véhicule. Il faut partir.
Retour. L’Anse-au-Loup et sa pâtisserie. Saint-Modeste. Red Bay. La route en gravier. Mary’s Town. Port Hope Simpson. Les épinettes. Pour la première fois depuis le début du périple, il pleut. La température est maussade. Comme mon humeur.
Cartwright. Destination finale de notre expédition. Quelque part entre Port Hope Simpson et Goose Bay. Il faut quitter la Trans-Labrador Highway pour atteindre Cartwright. Faire plusieurs kilomètres au milieu de nulle part.
Il pleut et la route est glissante. Dangereuse. Une voiture devant la nôtre roule lentement. Et refuse de nous laisser passer. Nous rageons à haute voix. C’est la première fois que nous rencontrons un conducteur qui n’est pas courtois sur la Trans-Labrador Highway. Parce que, bien qu’elle ne soit pas écrite et officielle, il existe une étiquette pour les conducteurs qui empruntent la Translabradorienne. Pour nous désennuyer, nous énumèrons à haute voix ces règles. Ralentir quand on croise un véhicule. Saluer les conducteurs des inlassables niveleuses. S’arrêter si on voit quelqu’un sur la route qui semble avoir des problèmes mécaniques. Laisser passer une voiture qui suit et qui semble plus rapide. Cette règle que le conducteur du véhicule devant nous ne semble décidemment pas connaître.
C’est donc fatigués et un peu frustrés que nous arrivons à Cartwright. Où il pleut toujours. Pas surprenant alors qu’aux premiers abords, Cartwright m’apparaît un peu moche. Des chalets éparpillés entre les épinettes. Des rues boueuses. Le restaurant du village est vide et la serveuse semble s’ennuyer. Elle nous propose la spécialité du resto. Du poulet frit. J’ai soudain vraiment hâte d’en avoir fini avec Cartwright.
Nous rencontrons la mairesse au bureau municipal. Sur le mur une carte de Cartwright. Dessinée à la main. Et dans un coin, une affiche: « You have the right to keep silence and to ask for a lawyer ». Devant notre air interrogateur, la mairesse pointe le plafond. Des traces de barreaux. Nous sommes dans l’ancienne prison municipale.

La mairesse de Cartwright n’y va pas de mots tendres envers la route. Elle est inquiète de l’avenir de sa municipalité. Jusqu’à l’arrivée de la route, Cartwright était le seul lien entre Goose Bay et le reste du Labrador. Le village accueille le traversier qui fait le lien entre l’ouest et l’est du Labrador. Maintenant qu’il y a la route, plus besoin de venir attendre des heures pour le bateau. La route, à Cartwright, a renforcé le sentiment d’isolement qui existait auparavant.
Et puis, comment fait-on pour protéger convenablement cet immense territoire maintenant que le monde entier peut y avoir accès ? La mairesse pose la question, mais n’a pas de réponse.
Nous faisons l’entrevue à l’extérieur. Les deux pieds dans la boue. Les doigts gelés par le vent. Devant la caméra, la mairesse se fait moins pessimiste qu’elle l’était dans le bureau municipal. La route amènera à Cartwright le regain dont elle avait besoin. Il y a de beaux projets dans l’air pour le village. Il faut juste trouver comment tirer profit de ces kilomètres de gravier.
Peut-être pour se faire pardonner de nous avoir brossé un portrait un peu noir de l’avenir, la mairesse nous fait faire un tour du village. Elle nous amène près de l’eau. Dans la baie, les vagues grises se fracassent avec éclat sur la côte. Les montagnes sont perdues dans la brume. Le vent hurle. Le ciel menace d’éclater. Près de l’eau, là-aussi, un vieux cimetière. Des croix en bois dans l’herbe folle. Comme sorties tout droit d’une autre époque. Il paraît que c’est près d’ici que les Vikings sont débarqués au Labrador. Qu’ils sont ensuite retournés chez eux pour raconter à tous qu’ils avaient découverts un coin de paradis, une baie magnifique, des plages de sable fin. Mes collègues et la mairesse vont marcher plus loin. Moi je reste dans le vieux cimetière. Seule, avec le vent qui fait valser les herbes folles. Et les croix de bois qui portent des noms maintenant illisibles. La pluie tombe maintenant, fouette mon visage. On a posé des fleurs de plastique devant une petite tombe. Elles sont mauves. Un peu de couleur dans cette journée grise. Dans ce village gris.

Avant notre départ, la mairesse nous entraîne au magasin de souvenirs du village. À l’extérieur, un petit groupe. Parmi eux, des représentants de compagnies touristiques allemandes. Très intéressés à offrir des voyages organisés au Labrador. La route maintenant ouverte, le Labrador est bel et bien accessible au monde entier.
Pendant que tous discutent du magnifique avenir touristique du Labrador, je me réfugie à l’intérieur du magasin de souvenirs. Fouille dans les vêtements tricotés à la main, le magnifique artisanat innu et les cartes postales. La vieille dame à la caisse me demande d’où je viens. Question simple, à laquelle je ne sais jamais quoi répondre. Avec un sourire, elle me demande ce qui a bien pu m’amener à Cartwright. Je cherche mes mots, mais j’ai de la difficulté à expliquer. Il me semble que j’ai quitté Goose Bay il y a mille ans. J’ai même un peu l’impression d’avoir oublié la raison pour laquelle je suis là. Parler de la route, oui, mais encore ? La vieille dame sourit toujours en me demandant si j’ai aimé le Labrador. À cette question, aucune hésitation. « Le Labrador est magnifique ».
La dame me remet ma monnaie. « It was nice talking to you. I hope you’ll come back! » Oh oui, je reviendrai, promis. En sortant, je réalise l’incongruité de ma réponse. Moi, revenir un jour à Cartwright, au Labrador ? C’est déjà une chance incroyable que je sois là, aujourd’hui. Alors, y revenir ? Refaire des kilomètres de route, de bateau ou d’avion pour revenir dans ce coin perdu du Labrador ? Je sais qu’il y a peu de chances… Mais j’aime bien croire à un retour possible. Ça me fait alors moins mal de partir.

Je regarde ce long ruban de gravier qui s’étire à travers les épinettes pendant que l’on tourne nos dernières images. À l’esprit, j’ai cette chanson de Claude Dubois, Le Labrador:
Un millier d’hommes sur la neige
N’ont pas d’endroit où retourner
Ils sont figés là sans connaître
Ils n’ont que du Sud à penser
Le Sud, il est maintenant là, au bout de la route. D’accord, Baie-Comeau, Québec et Montréal, c’est loin. Mais ici, les distances n’ont pas d’importance.
Peu avant notre arrivée à Happy Valley-Goose Bay, le ciel est devenu rouge, et le soleil s’est caché derrière les épinettes dansantes. Le paysage est devenu si beau, que nous avons été incapables de prononcer un seul mot.
Le Labrador nous narguait : vous pensiez avoir tout vu en me parcourant, mais vous n’avez vu qu’une infime partie de mon immensité…