En suivant la route jusqu’à la tourbière d’Alfred, il semble difficile de croire qu’on va trouver au bout du chemin la plus grande tourbière du sud de l’Ontario. Le paysage le long de la route est typique de la région de Prescott et Russell : des champs agricoles à perte de vue, un paysage si plat et dénudé qu’il est possible d’apercevoir, au loin, les montagnes des Laurentides.
Et pourtant, tout au bout du chemin de terre, on retrouve une courte passerelle donnant sur ce qui est sans doute l’un des écosystèmes les plus riches de toute la région.

Comme j’ai grandi dans la région, j’ai l’impression que je connais la tourbière d’Alfred depuis toujours. Pourtant, je peux compter le nombre de fois où j’y suis allée sur les doigts de ma main. Je pense que j’ai parfois tendance à oublier son importance et son unicité.
D’une superficie de 40 kilomètres carrés, la tourbière d’Alfred est la plus grande tourbière du genre du sud de l’Ontario. Elle est deux fois plus grande que sa voisine, la tourbière de la Mer Bleue près d’Ottawa. Comme Mer Bleue, la tourbière d’Alfred est née à la fin de la période glaciaire, il y a environ 10 000 ans. L’eau, pauvre en oxygène, y est trop acide pour permettre la décomposition des plantes et les végétaux morts s’accumulent donc jusqu’à créer de la tourbe. La tourbe de la tourbière d’Alfred atteint à certains endroits une profondeur de sept mètres.

Plusieurs des espèces animales et végétales qu’on trouve dans la tourbière sont rares. L’acidité du sol permet à certaines espèces d’orchidées et de plantes carnivores d’y pousser, et l’endroit est un véritable paradis pour les amateurs d’ornithologie. On y trouve même un troupeau d’orignaux qui représenteraient l’une des populations d’orignaux les plus au sud de toute la province.
Au cours du dernier siècle, des sections de la tourbière ont été drainées puis converties en terres agricoles, alors que d’autres ont été exploitées par l’industrie de la tourbe. La tourbière ne représenterait que le tiers de sa taille originale, mais de nombreux organismes sont aujourd’hui impliqués dans sa protection et préservation.

Depuis quelques années, le site est géré par Parcs Ontario qui en a fait une réserve naturelle provinciale, et qui pourrait éventuellement en faire un parc provincial. Pour l’instant, seule une toute petite partie de la tourbière est accessible au public, une petite passerelle de 275 mètres, aménagée par la Conservation de la Nation Sud.
On fait rapidement le tour de la passerelle, mais j’aurais pu y rester des heures. Après avoir parcouru quelques kilomètres de route au milieu de champs agricoles, l’impression que laisse la tourbière, avec son paysage de toundra à perte de vue, est toujours saisissant.
