Dépoussiérer mon drapeau vert et blanc

Je ne suis pas la Franco-Ontarienne la plus militante. Je l’ai déjà été pourtant. J’ai longtemps eu le cœur drapé de vert et de blanc. J’ai déjà chanté haut et fort Notre Place et Mon beau drapeau. J’ai déjà été vraiment offusquée par les « Il y a des francophones en Ontario? » et les « Tu parles bien français pour une Ontarienne ». J’ai déjà été de tous les combats, de tous les événements, des Jeux F-O, à la Nuit, en passant par L’Écho.

À cette époque, à toutes les fois où on me demandait qui j’étais et d’où je venais, je répondais fièrement : je suis Franco-Ontarienne.

Mais… Mais un jour je suis partie. Mon fleur-de-lysée vert a pris des teintes de bleu pendant mes années à Montréal. Puis mon identité a pris un coup d’air salin et de vent du nord quand j’ai mis le cap sur Sept-Îles où j’ai habité quelques années. De nouveaux accents se sont ajoutés à ma langue quand je suis partie étudier à Pékin. Petit à petit, mon cœur s’est drapé des couleurs des régions et des pays que j’ai traversés, mon identité est devenue complexe, multiple, emmêlée.

Je suis éventuellement revenue en Ontario. Je me suis installée à Casselman, le village où ont grandi mes parents, mes grands-parents et mes arrière-grands-parents. J’avais envie de renouer avec mes racines, de me retrouver un peu, de redéfinir qui j’étais. J’ai d’ailleurs lancé ce blogue avec comme but premier de redécouvrir ma région natale.

Mais même si je continue à répondre « Je suis Franco-Ontarienne » lorsqu’on me demande qui je suis, ce n’est plus avec la même ferveur qu’avant. Avec les années, j’ai un peu perdu l’énergie et l’envie de me battre. Je ne m’offusque plus autant lorsqu’on ne me répond pas en français dans un commerce de mon village, pourtant francophone. Je n’exige pas toujours d’obtenir des services gouvernementaux en français, de peur que j’aie à attendre trop longtemps. Et j’ai toujours un peu honte quand, en réunion avec mes collègues anglophones, ma langue et mon accent s’emmêlent dans les mots que j’essaie de prononcer, trahissant mes origines.

Puis est arrivé le 15 novembre dernier. Les deux nouvelles sont apparues coup sur coup sur mon fil Twitter.

Le Commissariat aux services en français est aboli.

Le projet d’université franco-ontarienne est annulé.

La nouvelle m’a ébranlée. Sans pouvoir clairement expliquer pourquoi, je me suis sentie attaquée, bafouée. Quand je suis revenue à la maison ce soir-là et que j’ai expliqué la situation à mon copain, je me suis mise à pleurer.

Et là, mon copain, un Québécois qui n’avait jamais entendu parler des Franco-Ontariens avant de me rencontrer, m’a dit : « Nous allons nous battre. »

Et j’ai l’impression que ce même message a été répété des centaines de fois dans des centaines de demeures ce soir-là. Ce message a résonné tellement fort qu’il a dépassé les frontières de la province, qu’il a été repris par des francophones du Québec et d’ailleurs au pays, par des francophiles et par des anglophones dans un écho qui ne s’est pas encore tu.

Nous allons nous battre.

Ils seront des milliers aujourd’hui à sortir dans la rue pour envoyer le même message. Des milliers de gens aux identités complexes comme la mienne, unis par le besoin de défendre une langue, une culture, une histoire et des acquis. Unis par le besoin de faire comprendre que les Franco-Ontariens ne sont pas une incongruité démographique ou un fardeau économique.

Pour la première fois depuis bien des années, j’ai dépoussiéré mon drapeau vert et blanc. Parfois, il faut être secoué un peu pour retrouver l’envie de se battre. Et je me suis jurée de ne plus jamais avoir honte de mon gros accent franco. Il fait partie de qui je suis, et il ne faut pas que je l’oublie.

Nous sommes, nous serons. Et pour cela, nous allons nous battre.

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